L’impact d’une réorganisation sur les prix de transfert

Dans un contexte économique dégradé à la suite de la crise sanitaire, les réorganisations d’entreprises risquent de se multiplier. Avec des impacts significatifs sur les prix de transfert. Avant de préciser comment évaluer et limiter les risques liés aux prix de transfert lors d’une réorganisation, commençons par rappeler quelques définitions et enjeux.

La multiplication des échanges internationaux

La conjoncture économique actuelle difficile couplée à une concurrence exacerbée génère de fortes pressions économiques sur les entreprises. Les prix de transfert sont définis comme des flux intragroupes et transfrontaliers. Ils sont alors un moyen pour les entreprises d’alléger leur charge fiscale, et donc de rester compétitifs. De fait, le sujet des prix de transfert est plus que jamais au cœur des débats actuels. Les prix de transfert représentent des enjeux financiers majeurs tant pour les multinationales que pour l’administration fiscale. Plusieurs raisons expliquent ce constat :

  • La mondialisation de l’économie : compte tenu de l’interdépendance croissante des économies, le terrain de jeu des entreprises se mondialise. Au fur et à mesure du développement à l’international des groupes multinationaux, ceux-ci tendent à optimiser la répartition de leurs activités dans les territoires où ils sont implantés. L’augmentation de la taille des entreprises et la concentration des marchés entraînent un accroissement de la part des flux intragroupes dans les échanges commerciaux.
  • La dynamique des organisations de grande taille : la recherche d’économies d’échelle et l’atteinte d’une taille critique permettent aux entreprises de se forger des positions dominantes.
  • Les impératifs de la communication financière : l’amélioration des termes de la communication financière des entreprises passe notamment par la minimisation du taux effectif global d’imposition affiché. Le montant des impôts acquittés auprès de l’ensemble des États est mis en évidence dans la communication financière des sociétés cotées.

À l’heure actuelle, les montants en jeu sont difficiles à estimer. Cependant, on peut mentionner deux éléments. D’une part, la part des bénéfices des grands groupes ne faisant pas l’objet d’une imposition est estimée à plusieurs dizaines de points. D’autre part, la proportion des échanges intragroupes tend à augmenter dans le commerce international. Ces deux tendances suggèrent que les prix de transfert contribuent à éroder la base imposable des pays développés.

La réorganisation comme moyen de rester compétitif

En réaction à ces tendances, les évolutions législatives récentes tendent à montrer un durcissement des réglementations pour endiguer l’évasion fiscale. La taxe GAFA mise en avant en France en est la dernière illustration.

C’est pourquoi les entreprises ont recours à des réorganisations pour rester compétitives dans un environnement économique incertain. L’OCDE définit les réorganisations d’entreprises comme un redéploiement transnational de fonctions, risques ou actifs entre entreprises liées. Si ces réorganisations sont principalement motivées par des raisons stratégiques et économiques, les incidences fiscales associées ne sont pas à négliger. En effet, une des conséquences de ces réorganisations est l’altération des équilibres économiques entre sociétés d’un même groupe. Ce qui entraîne la modification des bases imposables des sociétés parties prenantes à la réorganisation. Or, certains Etats sont enclins à remettre en cause la politique de prix de transfert du fait de la réorganisation. En particulier lorsqu’ils démontrent un transfert indu de bénéfices. Dès lors, comment documenter sa politique de prix de transfert lors d’une réorganisation pour éviter un redressement fiscal ?

La détermination des options réalistes

Une réorganisation obéit généralement à des raisons commerciales, et induit des économies opérationnelles et fiscales. A ce stade, il n’est pas possible de conclure directement sur le respect ou non du principe de pleine concurrence. Il est en effet nécessaire de prouver au préalable que des parties indépendantes ne vont conclure une transaction uniquement si elles ne trouvent pas d’alternative plus avantageuse. Cela revient à dire qu’aucune entreprise n’accepterait de conclure une transaction à son détriment si une autre option plus favorable s’offre à elle. Sauf si l’entreprise bénéficie d’une juste rémunération en contrepartie. Une option réaliste représente donc une alternative disponible pour l’entité restructurée et qui aurait pu être choisie par une entreprise indépendante se trouvant dans une situation comparable.

Ainsi, lors d’une réorganisation, chaque entité du groupe doit étudier l’ensemble des options qui s’offrent à elle. A ce titre, l’OCDE indique que les options réalistes n’ont pas pour objectif de contraindre l’entreprise à documenter tous les scénarios possibles. En effet, il s’agit plutôt d’étayer la solution la plus avantageuse à retenir pour l’analyse de la réorganisation.

En définitive, la notion d’option réaliste est une notion clé à double titre :

  • Lors du paiement d’une indemnité compensatoire lors de la réorganisation
  • Lors de l’examen de la réorganisation par l’administration fiscale

La répartition des risques supportés par les entités

Avant de déterminer l’indemnisation de l’entité qui subit un préjudice, il convient d’examiner la répartition des risques entre les parties prenantes à la réorganisation. Le principal problème en la matière est l’absence de données parfaitement comparables au cas présent. En effet, il n’y a pas deux réorganisations identiques d’une entreprise à l’autre. Par conséquent, l’analyse du degré de risque supporté par chaque filiale d’un groupe repose sur deux éléments :

  • Le contrôle sur le risque : capacité à prendre la décision d’assumer le risque
  • La capacité financière à assumer le risque : entité capable d’assumer financièrement le risque qui lui a été alloué

L’indemnisation de l’entité qui subit la réorganisation

Selon l’OCDE, une rupture d’un accord existant ne donne pas nécessairement lieu à une indemnisation au titre du préjudice subi. Pour déterminer s’il faut verser un dédommagement, il faudra examiner les points suivants :

  • Faits et circonstances de la réorganisation
  • Termes contractuels liant chacune des parties
  • Options réalistes à la disposition de chaque partie prenante à la réorganisation

Cela s’explique par le fait qu’une entité indépendante n’accepterait pas qu’un contrat soit rompu sans dédommagement. Les publications de l’OCDE, notamment les derniers principes applicables, ne donnent que peu de détails sur la manière de fixer cette rémunération. En conséquence, il conviendra de s’appuyer sur la pratique pour déterminer le niveau d’indemnisation. Plus précisément, l’objectif sera de déterminer ce que réclamerait un tiers comme montant de dédommagement. Ce qui permettra d’être conforme au principe de pleine concurrence, principe fondateur actuel des prix de transfert.

Des enjeux colossaux pour les entreprises et pour les Etats

A ce jour, les manques à gagner pour les autorités fiscales restent colossaux. Ce qui explique l’adoption de mesures renforcées de justification des prix de transfert, avec le chantier BEPS. Malgré ces avancées significatives, il n’existe pas encore d’harmonisation fiscale à l’échelle internationale. Ce qui rend plus ardu la mise en place d’une gouvernance mondiale régulant davantage les transferts indus de bénéfices. Dernièrement, la crise du Covid-19 est venue encore compliquer la donne. En l’absence de directives claires, les entreprises devront davantage documenter l’impact de la réorganisation sur leurs politiques de prix de transfert.